Je partage l'un de mes premiers textes. J'ai osé lire ce poème en public, il y a quelques mois, au Fishing Poetry à La Ola fresca, Valencia. Il y a plus de vingt ans, ma cohabitation avec ce texte pendant plusieurs mois me permit d'apprendre ce que retravailler un texte signifiait. Bien que je ne me sois pas inspirée de façon consciente de Les mariés de la tour Eiffel de Chagall, l'esprit de cette peinture m'habitait sans que je ne sache pourquoi ni comment. Comme dans les romans que j'allais écrire par la suite, il y a dans ce texte plusieurs éléments qu'il m'est impossible d'expliquer et qui me semblent n'avoir rien à voir avec ma vie sur cette terre. Mystère de l'écriture, de l'art, de l'au-delà...
Je dédie ce poème à Noël Audet, directeur de mon mémoire, qui a su conjuguer direction et liberté.
La mer nivelle mon corps
Endormi, épuisé
Sur une plage verte
Peuplé d'eau de sel et de vent
Les oiseaux se sont enfuis
Et les marins s'en sont allés
Ailleurs
Mon corps se fait sirène et appel et folie
Cherchant à séduire celui qui occit Icare
D'un certain mal assoiffé
Le voulant à tout prix revenir encore et
encore
Éternité d'une plage déserte
Bleue, jaune, sableuse et verte
Dernière citrouille de la saison
En manque d'amour de haine et de passion
Les vagues s'en sont allées coucher
Et la lune s'est mise à déferler
De sa pelure l'étrange citrouille départie
À la nuit porteuse, de tout son long s'est
abandonnée
Les violons se sont tus
Et les taureaux se sont mis à danser
Dans un ciel endormi
Se sont éclatés
Noces d'invités débridés
Usurpant les cordeaux du destin
Et croyant ce bonheur ne jamais devoir
s'évanouir
Mais déjà l'aube mendie son éternité
Heure de batailles perpétuelles entre fous
ailés et soldats bottés
Guerre sans intérêt
Puisque tout le monde sait qui va l'emporter
II
Et le soleil tristement s'habille
Pour la journée de juillet
On entend déjà la foule
Il fallait faire comme si de rien n'était
Mais on avait tous mis les atours
Oui, ceux de la foule, ceux de juillet
Ils arrivaient avec leurs bottes de plomb
Leurs airs en série
Leurs faces de circonstance
Leurs paniers tout préparés
Il fallait qu'ils disent qu'ils étaient venus
Alors ils nous arrachaient nos bracelets et
nos colliers
On ne criait pas
On attendait, patiemment, le soleil couchant
Et ils repartaient
Brûlés, repus, contents
Avec leurs bottes de plomb pleines de sable
Leurs paniers pleins de nos bijoux dérobés
C'était tous les ans pareil
On le savait
Une journée seulement
On attendait patiemment, et la caravane s'en
retournait
Sitôt libérés
Il fallait balayer leur passage
Reprendre possession de nos souffles et
paysages
À nos violons et à nos vagues, retourner
enfin
Denise Blais
Montréal, avril à octobre 1989