L’homme
prend la main de la femme dans la sienne. La femme accepte la main de
l’homme comme un cadeau que le ciel lui envoie. Comme un cadeau
éphémère. Un cadeau de l’instant. Puisque tous deux savent
qu’ils n’ont encore aucune obligation l’un envers l’autre,
puisque tous deux savent qu’ils sont libres de partir ou de rester,
l’homme et la femme décident de s’attarder un instant de plus
dans cette étreinte de leurs mains. La main de la femme dit :
Je reste encore un peu parce que je suis bien près de toi. La
main de l’homme murmure : Reste encore un peu. Puisque tu
ne me demandes rien, j’ai envie de tout te donner. Alors
l’étreinte se prolonge un petit moment, juste ce qu’il faut pour
que l’homme sache que la femme est bien près de lui, juste ce
qu’il faut pour que la femme sache qu’elle peut compter sur
l’homme et que celui-ci ne l’abandonnera pas à la première
occasion. Puis, ils se séparent. Chacun retourne à sa propre vie, à
ses propres affaires. L’homme est très occupé et a peu de temps
pour penser à la femme. Il lui arrive tout de même de se rappeler
la douceur de sa main dans la sienne. La femme, à cause de
l’éducation qu’elle a reçue, s’imagine déjà une histoire
d’amour avec l’homme ; il est le prince charmant qu’on lui
a promis ; il sera le père de ses enfants.
Une
nouvelle rencontre se dessine. L’homme est nerveux. Il se demande
si elle viendra, si elle n’aura pas préféré sortir avec un
autre. La femme craint qu’il ne soit qu’un séducteur qui préfère
flirter plutôt que d’aimer. Tous deux ont peur des
révélations que leur feront leurs corps. Cependant ils se
soumettent docilement au destin, à la Vie, qui les a fait se croiser
parce que la femme a désiré apprendre à danser, parce que l’homme
est maître de ballet. Alors, malgré leurs peurs, ils offrent leurs
corps à la danse.
Lorsque
l’homme pose sa main sur la ceinture de la femme, il le fait avec
le plus grand des respects. Lorsque la femme pose sa main sur
l’épaule de l’homme, elle le fait avec le plus grand des
respects. Lorsque la musique les envahit et leur dicte le rythme,
l’homme et la femme s’y soumettent pleinement. Dans ce moment de
la rencontre, ils cessent d’être des individus que le moindre
soubresaut fait trembler. Dans cet instant de la rencontre, ils
s’abandonnent au plaisir de la musique qui marque leurs pas. La
musique conduit l’homme qui conduit la femme qui accepte de se
laisser conduire. Dans cet instant de la rencontre, ils n’ont plus
peur, ils sont. Sont totalement présents à la Vie qui leur est
donnée, au plaisir de la rencontre.
Puis, la
musique prend fin, et il leur faut se séparer une fois de plus. Ne
savent pas ce que la Vie attend d’eux. Ont peine à comprendre la
sensation qu’ils ont de déjà se connaître. Ont peine à
comprendre cette parfaite harmonie de leurs corps qui dansent comme
s’ils avaient des siècles de pratique alors qu’ils viennent tout
juste de se rencontrer. La Vie ne leur dit pas ce qu’elle attend
d’eux, elle leur demande seulement d’entrer dans la danse, de ne
faire qu’un avec elle, et d’aimer chaque mouvement et chaque
instant de cette danse. La femme se soumet humblement au désir et à
la peur qui traversent son corps lorsque l’homme l’enlace de plus
près. L’homme accepte humblement de se laisser guider par la
musique plutôt que par ses peurs. Et la Vie les sépare une fois de
plus. L’homme et la femme se remercient mutuellement, se disent au
revoir, sans savoir s’ils se reverront.
L’homme
est troublé par leurs corps qui s’emboîtent trop parfaitement. Il
songe à toutes les femmes qu’il a aimées, à toutes les
souffrances qu’il a traversées avec elles. Il a peur de répéter
les mêmes erreurs, de vivre les mêmes souffrances ; il attend
la douleur, il sait qu’elle viendra. Cependant elle ne vient pas.
Parce que cette femme ne lui demande rien qu’il ne peut donner, la
douleur ne vient pas. Parce que la femme n’attend plus de miracles
de la part de l’homme, elle ne souffre pas. L’homme et la femme
sont déboussolés : ils attendent la douleur mais ne la
rencontrent pas.