I
Sur un radeau de fortune
Je parviens au rivage
Je ne reconnais plus rien
Ni la mer
Ni la terre
Jetée sur un radeau,
jetée
Dérive jusqu’à la rive
Ne sais plus rien
Engourdie par la dérive
Ramenée à la maison
À qui est cette maison?
Mon corps n’est plus mon
corps
Quel est mon nom?
Qui m’a donné ce nom?
Tout est si semblabe, si
immobile
Tout est changé
M’enveloppent d’un
vieux manteau
Me laissent dans une
petite pièce
À qui est cette maison?
II
Laissée seule dans maison
immobile
Les murs ne parlent plus
Tout se tait
Maison au souffle de cette
ressuscitée
Accroupie sous un vieux
manteau
Respire à peine
Attend
Un signe
Un son
Attend
Croyais qu’Il me
ramenait à Lui
Toujours, toujours, me
garde dans cette petite maison
Que veut-Il de moi?
Un peu de joie
Un peu de foi
Conscience d’un passé
si lointain, si lointain
Tout s’est effacé
Nouvelle venue dans maison
désertée
Heureusement ce manteau
Refuge des refuges
Animal blessé
N’attend plus personne
III
Une vieille grand-mère
aux doigts crochus
Une vieille indienne à la
peau basanée
Caresse mes cheveux
lentement
Et chantonne dans une
langue rêvée
Plus réelle que cette
maison
Plus réconfortante que
toutes les bibliothèques
Ses vieux doigts crochus
peignent mes cheveux
Mes noirs cheveux
naufragés
Aussi maladroitement
Aussi tendrement que ma
propre grand-mère
Elle peigne mes cheveux
Comme si elle n’allait
jamais s’arrêter
Elle me donne à boire
Qu’elle m’emmène dans
son pays!
Que plus jamais je ne me
heurte à la froide réalité des choses
Qu’elle m’emmène dans
son pays!
Mon cri
L’a fait disparaître
Partie comme elle était
venue
IV
Naufrage des naufrages
Sur quel bateau m’étais-je
embarquée?
Perte totale de tout
Quel était le nom du
capitaine?
Une fille, aux noirs
cheveux
Une fille, les cheveux
dégoulinants
S’accroche à une épave
Pendant des jours, des
nuits, des semaines
Des années
Elle s’accroche à cette
épave
Son corps épuisé n’est
pas mort
Son corps épuisé n’est
pas mort
Qui sont les autres
naufragés?
V
Une fille là-haut lui
ressemble étrangement
Ses bras sont grands
ouverts
Et son visage est immobile
Aucune émotion sur ce
visage
Pas un geste
Présente, seulement
Il me veut ici
Dans cette petite maison
Ne veux plus m’opposer à
rien
Obéissante parce que plus
de force
Miroir brisé
Survivante, toujours
Petit espoir glacé
Petit diamant d’espoir
glacé roule sur le plancher
Yeux rassurés
Sourire d’âme sous le
manteau
Petit diamant d’espoir
glacé roule sur le plancher
Montréal, décembre 1997