23 jul 2012

Naufrage



I

Sur un radeau de fortune
Je parviens au rivage
Je ne reconnais plus rien
Ni la mer
Ni la terre

Jetée sur un radeau, jetée
Dérive jusqu’à la rive

Ne sais plus rien
Engourdie par la dérive

Ramenée à la maison

À qui est cette maison?
Mon corps n’est plus mon corps
Quel est mon nom?
Qui m’a donné ce nom?

Tout est si semblabe, si immobile
Tout est changé

M’enveloppent d’un vieux manteau
Me laissent dans une petite pièce
À qui est cette maison?



II

Laissée seule dans maison immobile
Les murs ne parlent plus
Tout se tait
Maison au souffle de cette ressuscitée

Accroupie sous un vieux manteau
Respire à peine
Attend
Un signe
Un son
Attend

Croyais qu’Il me ramenait à Lui
Toujours, toujours, me garde dans cette petite maison
Que veut-Il de moi?
Un peu de joie
Un peu de foi

Conscience d’un passé si lointain, si lointain
Tout s’est effacé

Nouvelle venue dans maison désertée
Heureusement ce manteau
Refuge des refuges
Animal blessé
N’attend plus personne



III

Une vieille grand-mère aux doigts crochus
Une vieille indienne à la peau basanée
Caresse mes cheveux lentement
Et chantonne dans une langue rêvée

Plus réelle que cette maison
Plus réconfortante que toutes les bibliothèques
Ses vieux doigts crochus peignent mes cheveux
Mes noirs cheveux naufragés

Aussi maladroitement
Aussi tendrement que ma propre grand-mère
Elle peigne mes cheveux
Comme si elle n’allait jamais s’arrêter

Elle me donne à boire
Qu’elle m’emmène dans son pays!
Que plus jamais je ne me heurte à la froide réalité des choses
Qu’elle m’emmène dans son pays!

Mon cri
L’a fait disparaître
Partie comme elle était venue



IV

Naufrage des naufrages
Sur quel bateau m’étais-je embarquée?
Perte totale de tout

Quel était le nom du capitaine?

Une fille, aux noirs cheveux
Une fille, les cheveux dégoulinants
S’accroche à une épave
Pendant des jours, des nuits, des semaines
Des années
Elle s’accroche à cette épave

Son corps épuisé n’est pas mort
Son corps épuisé n’est pas mort

Qui sont les autres naufragés?



V

Une fille là-haut lui ressemble étrangement
Ses bras sont grands ouverts
Et son visage est immobile
Aucune émotion sur ce visage

Pas un geste
Présente, seulement

Il me veut ici
Dans cette petite maison
Ne veux plus m’opposer à rien
Obéissante parce que plus de force

Miroir brisé
Survivante, toujours
Petit espoir glacé
Petit diamant d’espoir glacé roule sur le plancher
Yeux rassurés
Sourire d’âme sous le manteau
Petit diamant d’espoir glacé roule sur le plancher



Montréal, décembre 1997