Enfin pouvoir
exposer mes os gelés depuis tant de siècles au plein soleil
d'hiver, au plein soleil d'été. Presque dix ans se sont écoulés
avant que mes pauvres os aient fait le plein de chaleur, avant que ma
colonne vertébrale puisse s'étirer et reprendre sa place sans
grelotter, avant que ma mâchoire dégèle et puisse se remettre à
articuler. J'ai l'air d'exagérer mais Émile aussi était mort de
froid dans son vaisseau d'or, mort du froid de février. Je ne peux
évoquer le froid sinon mon corps rétrécit une fois de plus, je
perds deux ou trois centimètres, et je ne peux plus être à la
hauteur de mon nouveau destin. Le souvenir même est assez fort pour
transformer mon corps et me faire perdre la force que je viens de
gagner, la nouvelle force qui me maintient debout comme un sapin,
comme un palmier, comme une femme forte et faible à la fois, faible
et forte à la fois.