Un homme passe sa vie à inventer mille façons de s’exprimer. Il ne fait que ça, s’exprimer. Le fait pour tous ceux qui ne le font pas. Le fait par besoin. Par plaisir.
Un homme joue sa vie et ne s’ennuie jamais. Picasso des trouvailles, des patentes et des inventions, il ne cherche pas, il trouve. N’a pas à chercher de midi à quatorze heures puisqu’il trouve toujours un moyen de moyenner, une façon de faire parler les objets. Entre ses mains, le papier s’humanise, la peinture paysage, le bois violone, le métal s’incline.
Il n’y a pas à chercher de midi à quatorze heures. Il n’y a pas à désespérer. Il n’y a qu’à faire parler les objets. Sa tête bourdonne d’idées, d’astuces. Celui qui n’a jamais mis les pieds à l’université connaît l’école de la vie, la débrouillardise de sa famille, de ses ancêtres. Avec un bout de corde, un bout de papier, il crée des merveilles. Puisqu’il n’y a pas de moyens, il faut moyenner, et créer à partir de rien. Puisqu’il n’y a pas de moyens, il faut tout inventer, et fabriquer soi-même son violon si l’on veut en jouer.
Un homme n’a jamais appris à jouer du violon. On ne lui a jamais donné de leçons. Pourtant il se fabrique un violon et se met à en jouer. Il en joue comme un ancêtre qu’il n’a pas connu l’a probablement fait avant lui. En joue de façon naturelle, innée. Touche le violon pour animer les fêtes, humblement. Les gens du village comptent sur leur violoneux pour les faire danser, pour les faire swinger, et lui ne les déçoit jamais. Arrive tôt à la fête avec l’instrument qu’il a lui-même confectionné et marche d’un pas décidé vers l’estrade. Ne perd pas de temps en salutations. Son but est clair et précis. Son corps est déjà tout entier à son travail. Ce soir, on lui a demandé d’être violoneux. Alors il est violoneux comme un autre est boulanger. Il sort son violon de son étui, l’accorde, et, lorsqu’on l’y invite, prend le plancher pour le plaisir des danseurs qui le prennent aussi. Joue les pièces qu’il a apprises ainsi que celles qu’il a créées. Puis, il remet le violon dans son étui et rentre à la maison, comme le fait le bûcheron ou le forgeron. N’est pas une vedette. Est simplement violoneux lorsque l’on a besoin d’un violoneux.
Une fois chez lui, il redevient le patenteux, l’insatiable Picasso qui ne cherche pas mais qui trouve. Et son esprit inventif, intranquille, fait parler le papier, le plastique, le bois, le métal. Dans son atelier de fortune, il crée un monde à partir de rien. Dans son atelier de fortune, où priment le plaisir de la création et la joie de la découverte, les moyens sont réduits et l’on ne peut compter sur l’argent pour acheter quoi que ce soit. Dans son atelier de fortune, l’on peut trouver un peu de tout et surtout la bonne fortune d’un homme qui consacre sa vie à l’expression, à l’art, parce que c’est le sort qui lui est échu. Dans son atelier de grande fortune, l’on roule sur l’or, car la joie et la sérénité du maître est source d’inspiration pour ceux qui le visitent. Au contact de l’homme et de ses créations, le bûcheron et le forgeron ont accès à un autre monde, à une autre dimension.
L’intranquillité de l’homme n’aura pas été vaine.
©2009